Clin d’œil à ceux qui sont impatients d'en savoir plus sur la Cité Franche avec quelques événements de tous les jours, mais qui pourraient, qui sait, être le point de départ d'une aventure ?
Arwen Uvëa était une amie de longue date,
habitant Varnaïrello en Ellerìna. En dépit des années et de l’océan qui les
séparaient, Mirë Lelyen et elle poursuivaient leur correspondance. C’est au
cours de l’une de ces missives que l’érudit avait appris que Manyen, le fils
d’Arwen, venait d’atteindre l’âge auquel les ellenions ont coutume de faire un
voyage de par le monde. Le jeune homme arriverait à bord la Danseuse tempétueuse
et ferait sa première escale à la Cité Franche.
Dès l’annonce de l’arrivée du navire au port, Mirë Lelyen
avait quitté son domicile dans le quartier des cristaux pour se porter à la
rencontre du nouveau venu. En cette matinée de début d’automne l’air était
encore doux et le ciel clair. Il
descendit d’un pas vif les quais du Dispende pour atteindre le pont de l’Aube.
De là, il prit place dans l’un des petits dériveurs qui permettaient aux
habitants de rejoindre plus rapidement les parties opposées de la ville. Il y
en avait en circulation pratiquement à toute heure du jour et de la nuit. Ils
étaient nécessaires pour assurer l’approvisionnement de toute la partie ouest
de la ville, coincée contre les rochers et dépourvue de route terrestre menant à
l’extérieur. Maraîchers, bestiaux, artisans : tout le monde passait en
tous sens, suscitant des embouteillages permanents et des accidents réguliers.
La traversée lui prit environ une demi-heure pour atteindre
le port des Sentinelles, dans le quartier de l’Étoile. La Danseuse tempétueuse
avait eu le temps de manœuvrer lentement pour traverser précautionneusement la
rade surpeuplée et atteindre sa destination. Ses passagers étaient descendus,
certains attendaient leurs bagages, d’autres avaient déjà entamé les formalités
à la capitainerie, incluant notamment le paiement des taxes d’entrée dans la
ville.
Manyen Uvëa figurait dans les premiers, impatient de
découvrir la Cité Franche.
Sitôt que le jeune homme eût rencontré Mirë Lelyen, il posa
sa main droite sur son cœur tout en s’inclinant avant de s’exprimer en un
elfique soigné :
« Merci de m’accueillir. Ma mère m’a beaucoup parlé de
toi et j’ai pris grand plaisir à lire les mémoires de voyage que tu as
publiées. Je me sens heureux et honoré que tu me guides dans cette cité. Je
m’efforcerai d’être un élève appliqué et un visiteur respectueux. »
Son hôte répondit au salut de même, à la mode de leur peuple,
mais avec une attitude plus vive, imprégnée de ses années à habiter une
métropole grouillante de monde. Formalités passées, les deux hommes firent
quelques pas dans le quartier de l’Étoile, l’aîné invitant son cadet à une
halte dans une taverne. Ils traversèrent l’élégante salle commune dominée par
des tons bleu de cendre pour prendre place à une table dans la petite cour
fleurie ornée d’aster aux nuances mauves et violettes éclatantes, sur fond de
buissons dont les feuillages avaient viré tantôt au rouge profond, tantôt au
jaune doré.
« Pour être tout à fait franc, j’étais un peu étonné en
apprenant que tu n’habitais pas ici ou même au palais de la pointe.
– Par ici les nôtres demeurent bien souvent entre eux et
vivent comme en Ellerìna, parlant au quotidien presque seulement l’elfique.
J’ai préféré emménager dans un quartier plus cosmopolite et plus proche des
bibliothèques, tant privées que publiques.
– Je comprends. À quoi bon partir si loin si c’est pour
vivre à l’identique ? Je ne suis pas encore nostalgique, je serai heureux
de vivre parmi les cyfands. J’ai appris la langue, mais je ne connais rien des
usages. Instruis-moi s’il te plait, que je ne t’embarrasse pas par mes
mauvaises manières. »
Myrë Lelyen s’inclina et s’éclipsa pour passer commande,
réfrénant un sourire amusé à l’idée que le jeune étranger pût craindre
d’offenser quiconque. Tandis qu’une collation était servie, la discussion
reprit :
« Les habitants de la Cité Franche ont des manières
diverses de se saluer. On peut distinguer globalement celles qui impliquent un
contact, perçu comme une marque de sincérité, et celles qui à l’inverse posent
une distance en signe de respect et de dignité.
» La pratique
dominante dans ces contrées consiste à se saluer en se saisissant mutuellement
l’avant-bras droit serait un ancien usage venu du nord du Cyfandir. Dans
certaines régions, le salut est suivi presque systématiquement d’une accolade.
L’explication du geste serait « je ne suis pas votre ennemi et vous confie
la main avec laquelle je me bats pour vous prouver ma volonté de ne pas vous
combattre ». Au quotidien, quand ils n’ont pas le temps ou ne font que se
croiser, les cyfands de culture populaire se contente de lever la main droite
brièvement.
» Parmi les élites raffinées, certains ont adopté la salutation elfique, la main sur le cœur. Elle est
comprise ici comme signifiant à peu de chose près « si je manque de
sincérité, que mon cœur cesse de battre ». Les personnes influencées par
la culture cyrillane et celle des royaumes des Sables ont un geste
proche : la main sur le cœur et une arabesque de la main évoquant une
invitation. Les ressortissants d’Ajagar et Rachamangekr s’inclinent en joignant
les mains. Le sens du geste semble pouvoir se traduire
ainsi : « Je vous respecte et vous montre mes mains liées, je ne
cherche pas à agir contre vous ».
– Si je comprends bien, il est parfois
souhaitable d’adopter la mode de salut cyfande pour ne pas donner l’impression
de mépriser mon interlocuteur, tandis que d’autres pourraient s’offusquer
d’être traité de manière cavalière. Je ferai attention. »
Ensemble de caryatides, par Gawain
Un peu plus tard...
Manyen Uvëa considéra le dériveur avec un peu de réticence.
Il avait traversé l’océan à bord d’un véritable vaisseau et avait vu depuis le
pont les petites embarcations à fond plat qui encombraient la rade. Il glissa
ses doutes à voix basse en elfique :
« Est-ce bien prudent de naviguer à bord d’un si frêle
esquif ? Ils sont si nombreux et paraissent avoir des trajectoires si
désordonnées… N’y a-t-il jamais d’accident ?
– Oh si ! sourit avec embarras Meryë Lelyen. Mais
le plus souvent ils ont lieu par temps de grand vent ou de brouillard. C’est un
peu dangereux dans ces cas-là, mais aujourd’hui, les conditions sont bonnes, il
n’y a pas à s’inquiéter. Les gens ont l’habitude. D’ailleurs, le cours du
Dispende est canalisé et totalement contrôlé, et les flux des marées sont
limités par l’étroitesse du passage du phare : il n’y a pratiquement pas
de courant dans la rade. Cela pose d’autres problèmes tels que la puanteur
des eaux saumâtres en été et l’ensablement du port, mais cela ne nous concerne
guère. L’essentiel reste que le dériveur est bien plus rapide pour atteindre le
quartier des cristaux depuis ici. Les trajets à pieds sont longs et les rues souvent
encombrées.
– La voie des eaux est-elle toujours la plus
rapide ?
– Non et d’ailleurs même si beaucoup de quartiers ont
vue sur la mer, les falaises ou la profondeur de l’eau limitent les
possibilités. Le quartier éolien se caractérise par ces deux contraintes. C’est
aussi le cas aux pieds de la guilde des bâtisseurs.
» Les grands navires venant de l’océan ont le choix
entre le port des Sentinelles dans le quartier de l’Étoile, le port de
l’Armatrice au sud de l’Académie, et le port des Épices dans le quartier de
Ghardat.
» Les embarcations à fond plat en revanche peuvent
aller jusqu’au bidonville d’Asoif à l’ouest, au marché du forum – au pied du
temple de Façonneur – et tout le long du cours canalisé du Dispende.
» Beaucoup de quartiers de la ville, coincés dans les
hauteurs escarpées, sont très difficiles d’accès. Depuis que les Éoliens ont
consolidé leur présence, on trouve sur les terrasses de toit des espaces
adaptés aux agiles nefélytres. Les boursoufleuses en revanche restent rares. Il
y a actuellement un pont en construction, entre le quartier Éolien et celui de
l’Académie. Il y aura des jetées adaptées à ces grosses embarcations volantes.
– Tout cela donne le sentiment d’une certaine
improvisation.
– La Cité Franche a grandi sans véritable plan
d’ensemble et les quartiers décident de leurs aménagements sans toujours se
concerter. La ville est vivante et offre beaucoup d’opportunités, mais elle
n’est pas faite pour la mesure ou le repos. »
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